18 Mai 2015

En ce lundi matin ensoleillé, David est pensif. Il doit rejoindre Edouard à 12h 30 pour un déjeuner, suivi d’une séance de travail seul à seul pour faire un point sur les avancées du méta projet, « Vision Bleue ». Il se remémore l’état d’avancement. Les directeurs se sont attribués le pilotage des 7 grands chantiers en février, et des réaffectations de ces rôles ont été menées dès Avril, suite aux recrutements de certains cadres clé : Loic, le nouveau DSI, Léa, la nouvelle DAF, et Rachel, la nouvelle directrice Qualité / Amélioration continue. 

David se réjouit de l’évolution visible de certaines pratiques au sein de l’entreprise, bien qu’elles n’aillent pas sans faire quelques vagues.

Tout d’abord, ces fameux recrutements qui ont été rondement menés : pas de tergiversation, et des choix rapidement validés par Edouard, qui n’a pas toujours été un modèle sur la prise de décision rapide. VB a toujours souffert de devoir attendre le blanc-seing d’Edouard pour avancer ; voir Edouard lâcher prise et faire plus confiance à son équipe proche est un bon indicateur sur la conscience qu’il a de son rôle de modèle du changement. Il a vite compris, à force d’entendre David, que ce sont ses actes et non pas ses discours qui donneront la meilleure impulsion au changement. 

Ensuite, lors du départ à la retraite de Catherine, la secrétaire d’Edouard, ce dernier a décidé, sous les conseils de David, de recruter une jeune femme a grand potentiel, Julie, dont le rôle sera beaucoup plus large que celui de Catherine, à mi-chemin entre l’assistante de direction et la secrétaire générale. En parallèle, Edouard a appris à écrire ses propres courriers, et utiliser des applications sur son Smart pour traiter des tâches logistiques simples (vols, hôtels), de telle sorte que Julie se trouve affranchie de ces aspects pour se consacrer à des sujets à plus de valeur ajoutée, notamment sur des arbitrages sur la gestion des priorités de son patron. Par ailleurs, elle converse plus avec lui sur des sujets stratégiques et lui apporte son regard candide et souvent très frais sur les changements qu’il doit opérer.  C’est elle qui l’a convaincu, par exemple, d’aller chercher son café dans la salle commune, ce qui lui donne un prétexte pour échanger de façon informelle avec de nombreuses personnes. Cette nouvelle pratique n’est pas sans créer un certain malaise chez les  anciens, qui se demandent s’il ne montre pas là de premiers signaux de sénilité, mais Edouard a très vite récolté les premiers fruits de cette pratique , car il prend un vrai plaisir à échanger avec de nouveaux arrivants, ces fameux jeunes de la génération Y qu’il critiquait tant il y a encore 6 mois.

Un autre signal positif pour David est le nombre de personnes qui se portent volontaires dans l’implication sur les différents chantiers, même si le chantier « EE » pose question.  

Il est l’heure de retrouver Edouard, qu’il trouve soucieux dès leurs premiers échanges.

(David) Que se passe-t-il Edouard, tu as l’air soucieux ?

(Edouard) Je me doutais que tout cela ne serait pas fluide, David, mais là, j’accumule les mauvaises nouvelles.

(David) C’est-à-dire ?

(Edouard) 2 sujets : Guillaume et Rachel.  Je vais commencer par Guillaume. Comme tu le sais, il est en charge du chantier « Comptes clé internationaux », et ses interactions avec la Suède et l’Australie ne sont pas des plus fluides.

(David) C’est-à-dire ?

(Edouard) Guillaume a très vite fini ses travaux avec la « Task Force » constituée de commerciaux et techniciens français . En gros, il cible 15 grands comptes à gérer en mode projet, avec des chefs de projet basés dans le pays du siège social du grand compte. Et comme tu le sais, nos grands comptes sont très répartis entre nos 6 filiales (USA, Royaume Uni, Australie, Afrique du Sud, Suède, et Nouvelle Zélande). Il a lancé une action pilote avec Henning et Flipper, les 2 chefs de projet pressentis pour la Suède et l’Australie.

(David) Flipper ?

(Edouard) Oui, enfin, son nom est Paul Westin, mais les australiens ont toujours un surnom depuis leur tendre enfance, alors lui, c’est Flipper. Le problème, c’est que Flipper, en bon dauphin, a un sacré sonar quand une menace pointe sur la préservation de son pré carré, et là, il a l’impression d’être complétement dépossédé.

(David) Mais bien au contraire, il va se retrouver avec une responsabilité mondiale sur son compte clé ! De mémoire, c’est « South Sails », c’est ça ?

(Edouard) Responsabilité mondiale sur « South Sails » oui, mais devoir de reporting sur les voileries australiennes filiales de groupes étrangers aussi, et ça, ça lui plait moins !  Apparemment, le volume de reporting envisagé lui fait peur, et il a l’impression d’être déplumé de son pouvoir tout puissant sur ses équipes, car bien sûr, ses commerciaux et son équipe d’ADV devront rendre des comptes à de multiples interfaces dans le monde plutôt qu’à lui. Et là, tu connais Guillaume, il est monté sur ses grands chevaux, et c’est parti au clash ; du coup, Flipper m’a appelé pour me demander de calmer mon frère.  Mais Flipper, c’est un dur, un sanguin, donc j’imagine que les mots sont allés un peu trop loin. 

(David) J’imagine donc que tu en as parlé avec Guillaume, qu’est-ce que vous vous êtes dit ?   

(Edouard) J’ai reçu Guillaume effectivement. Il était chaud bouillant. Je l’ai donc laissé cracher son venin, puis je l’ai questionné comme tu le fais avec moi, parfois, un peu en mode coaching ; et ça a vraiment bien marché dis donc, merci pour ça ! 

(David) Et alors, il a fait émerger sa solution ?

(Edouard) Pas vraiment. Il se dit juste qu’il ne changera pas Flipper, ses désirs de puissance, et son obstination à montrer que c’est le plus fort. Il pense donc le revoir pour calmer le jeu. Et pour lui, « calmer le jeu », c’est de lui présenter des excuses sur les mots de trop (même si ça lui fait mal), de rester ferme sur l’organisation cible en refaisant de la pédagogie sur le sens, puis de l’écouter sur ses besoins, et de négocier sur la base de ce qu’il a écouté, au fil de la discussion.  

(David) Ca me semble être une très bonne approche, mais tu crois qu’il sera capable de le faire ?  

(Edouard) J’en doute, c’est ce qui m’inquiète. Guillaume sait écouter, ça fait partie de son métier, mais si Flipper remet de l’huile sur le feu, Guillaume va devoir gérer ses émotions.

(David) Qu’est-ce que tu pourrais faire pour être moins inquiet ?

(Edouard) … je ne sais pas … (il réfléchit) .. peut-être pourrai-je proposer à Guillaume d’être présent  lors de leur échange, s’il en est d’accord. Qu’est-ce que tu en penses ? 

 (David) Bonne idée !  Flipper est dans la loi du plus fort, et s’il a en priorité besoin d’être reconnu et respecté dans ses pouvoirs, ce que Guillaume se propose de faire, il a aussi besoin qu’on lui rappelle que son « fief » est dans une organisation plus grande qu’il ne dirige pas. Il faut que Flipper entende de toi : « quand c’est Guillaume qui parle, c’est moi qui parle ». C’est triste d’en être encore là, mais c’est la vérité du moment. Toutefois, comment vas-tu faire pour ne pas prendre la place de Guillaume dans cet échange ?

(Edouard) Je vais juste faire l’introduction, puis je vais les laisser …

(David) Est-ce qu’ainsi tu te sens pleinement rassuré ?

(Edouard) Toute réflexion faite, j’ai confiance en Guillaume pour qu’il sache écouter, car il sait très bien le faire une fois qu’il a pris le recul pour gérer ses émotions et voir les choses sous un angle différent, plus respectueux de l’autre. Après, il ne faut pas non plus qu’il lui fasse trop de concessions au risque de dénaturer l’organisation cible. Est-ce que tu pourrais l’aider à préparer au moins ses « non négociables » en amont de la réunion ?

(David) C’est important qu’il prépare son « non négociable », cela l’aidera à s’affirmer avec sérénité. Je peux l’inciter à le faire, mais ce sera à lui de décider s’il a besoin d’aide.

(Edouard) Oui, tu as raison, et je ne doute pas que tu sauras éviter de te positionner en sauveur s’il te sollicite, d’autant que Guillaume est très engagé et convaincu sur son projet compte clé

(David) et maintenant, tu te sens plus rassuré ? 

(Edouard) … pas complètement rassuré. Car je ne sais pas si Flipper trouvera son compte dans notre nouvelle organisation. Je ne sais pas s’il acceptera de partager son pouvoir.  

(David) C’est vrai que le chemin risque d’être long, il faudra bien contractualiser avec lui, faire de la pédagogie et aussi de la régulation lorsqu’il voudra reprendre la barre abruptement. Mais tu as besoin de Flipper, n’est-ce pas ? Il a du talent ?

(Edouard) Ah oui, ce type est ingénieux, c’est un battant, il gagne de belles guerres commerciales, et son équipe le suit.

(David) Guillaume aura aussi intérêt à se rendre utile à Flipper, pour créer plus d’interdépendance entre eux et faciliter le changement de raisonnement. Je lui en parlerai. Pour le reste, bienvenu dans la conduite du changement, qui nécessite de la négociation et surtout, de la patience. Et pour la Suède ?

(Edouard) Oh là, c’est plus simple, Henning, c’est un ange ! Sa capacité à travailler pour le collectif n’est plus à démonter, c’est dans son ADN et celui de toute son équipe d’ailleurs. Mais il aurait aimé être consulté en amont, lui et son équipe ; il regrette que la « Task Force » n’ait été constituée que de français, car à son avis, cela a appauvri les conclusions.  Il demande à Guillaume de refaire un  workshop avec certains commerciaux d’autres filiales pour revoir certains éléments du projet d’organisation, comme par exemple l’affectation des équipiers à 100% sur les comptes clé , qui, sur certains services ou certaines filiales à faible effectif, ne fait pas sens.  

(David) … et j’imagine que Guillaume, avec son souci d’efficacité, verrait ça comme une perte de temps

(Edouard) Exact. Henning n’est pas du style à ruer dans les brancards, tu sais, mais je le sens profondément heurté et affecté par la tournure des évènements. Henning est convaincu par l’intérêt  de la réorganisation, il a d’ailleurs été le premier à plaider pour cela, lorsqu’il nous a expliqué qu’ Alvstrom , son compte clé, nous attendait la dessus.  Mais il éprouve un sentiment de rejet de notre collectif.

(David) On peut comprendre qu’en voyant Guillaume faire son truc dans son coin avec ses sbires, il se disent que nous ne démontrons pas vraiment ce que nous voulons faire, à savoir travailler dans la transversalité !

(Edouard) Oui, c’est ce que j’ai dit à Guillaume. Mais il a de la peine çà comprendre ça, il est pressé 

(David) Oui, la Spirale nous dirait que c’est un ER Orange pressé ! Haha !

(Edouard) Comment ?

(David) Orange pressée, le jeu de mots !  J’aime bien les jeux de mots ou analogies avec les couleurs sur la Spirale : les rouge en colère, les verts qui ont besoin de mûrir la décision consensuelle, et les oranges toujours pressés ! 

(Edouard) Oui, bon, Guillaume me dit de ne pas m’inquiéter, que tout va bien se passer, que les atermoiements de Henning vont se tasser … mais la déception d’Henning me gêne, il faut que les gens sachent bien s’entendre et se respecter, bon sang ! Du coup, j’ai expressément demandé à Guillaume de rouvrir les débats et d’organiser ce workshop ; il n’est pas convaincu, mais j’espère qu’en le faisant, il se rendra compte de l’intérêt que cela peut avoir 

(David) … oui, enfin, pour Henning, ce ne sont pas des atermoiements, ce sont des émotions, mais ça, je ne suis pas sûr que Guillaume le considère, ce n’est d’ailleurs pas votre marque de fabrique, les émotions, non ?

(Edouard) On fait notre possible pour que les choses se passent bien, sans vagues, les émotions ne peuvent qu’envenimer les choses

(David) Hum, on en parlera une autre fois … Mais là, tu crois que Guillaume va s’intéresser aux conclusions du workshop ?

(Edouard) Je ne sais pas, mais au moins, ça appaisera les tensions.

(David) Cela ne t’ennuie pas que je demande les conclusions du workshop à Guillaume ?

(Edouard) Non, c’est bien que tu saches ce qui se passe. Et pour Rachel, je t’en parlerai une autre fois

 

L’éclairage de la spirale dynamique

Le cas de Flipper est typique du système de valeur CP Rouge, fait d’impulsivité, de force, de puissance, et de courage. CP Rouge est un système très égocentré, très affirmé , ou l’on se préoccupe peu de l’autre. Il est demandé à Flipper d’aller sur du ER Orange ; or, entre Rouge et Orange, il y a Bleu ! Et la Spirale nous dit que l’on ne peut pas sauter les étapes, et qu’il faut avoir pleinement vécu chaque système avant de ressentir le besoin de passer au suivant ! Flipper est donc très loin d’ «adopter» un système de valeur ER Orange dominant, si tant est que cela fasse sens pour lui. Même s’il reste chez VB, il lui faudra des années et quelques sérieuses mésaventures pour réaliser que ses « conditions d’existence » ont changé et qu’il lui faut évoluer et aller chercher un système de valeur DQ Bleu, puis, peut-être, ER Orange. L’enjeu à court terme est donc de simplement l’amener vers un peu plus de ER Orange culminant (= CP Rouge toujours dominant, mais une sensibilité ER Orange plus forte). ER Orange est en effet synonyme dans notre cas de transversalité et de fonctionnement en projet pour plus d’efficacité. Pour cela, il va falloir lui faire prendre conscience que le « command and control » qu’il exerce sur son « fief » ne lui sera pas suffisant pour assouvir ses rêves de grandeur, et qu’il doit montrer un peu plus allégeance à l’organisation et sacrifier son égocentrisme, en d’autres termes aller vers du DQ Bleu, pour obtenir une « récompense ». Pour cela, Guillaume, devra marquer des signes ostensibles de respect à Flipper, lui donner un rôle lui permettant de continuer à montrer sa force et son énergie, et accepter encore quelques démonstrations de force . En effet, Flipper ne lâchera pas son système de valeurs en quelque mois, et aura besoin de faire son propre cheminement. Avec le temps, plus tard, il pourra retrouver un système de valeur individuel, ER Orange, mais il se sera « civilisé » ; il cherchera à nouveau à atteindre en priorité ses objectifs individuels, mais de façon plus subtile et respectueuse de l’autre. 

Edouard a raison de s’inquiéter sur le risque de voir Flipper continuer à faire son chef en local, et empêcher les contributeurs australiens des chefs de projets internationaux de faire leur travail,  en les recentrant sur des priorités locales . Il faudra donc aligner les objectifs à la vision, puis sans cesse réguler, contractualiser, réguler, contractualiser. Conduire le changement est une mission de patience !

Quant à Henning, c’est un FS Vert dominant , ce qui signifie qu’il est dans un management très participatif, s’appuie sur une large consultation, croit en l’intelligence collective ( retour de la dimension collective), laisse un place importante à l’expression des émotions, et a un fort besoin de sens. Sur le sujet des comptes clé, Il aimerait plus de participation pour enrichir les échanges, et ne comprend pas le fonctionnement ER Orange de Guillaume, impatient et optimiste quoiqu’il arrive.  Guillaume est centré sur l’objectif, Henning sur le chemin pour atteindre l’objectif.

Lorsqu’Edouard évoque le conflit, il en parle depuis son DQ Bleu très normatif (« il faut que les gens sachent bien s’entendre et se respecter »), sans avancer la richesse que le collectif peut apporter. Cela est normal, car il n’est pas encore en conscience FS Vert. David, qui bien qu’ER Orange dominant, a du FS Vert culminant, est plus en conscience de la puissance de l’intelligence collective, mais ne le reprend pas la dessus (« on en parlera une autre fois ») car les échanges ultérieurs sur les émotions, également très FS Vert, montrent qu’Edouard n’est pas prêt à entendre non plus les bénéfices de l’intelligence émotionnelle typique de FS Vert. 

L’enjeu, rappelons-le, est de mener culturellement la maison VB de DQ Blue à ER Orange. Toutefois, lorsque David demande à Edouard l’autorisation d’avoir une copie des conclusions du workshop, c’est pour suivre ensuite si Guillaume intègre les remarques intéressantes des participants. La « consultation bidon » est une pratique courante en ER Orange, et David souhaite éviter que l’on fasse du mauvais ER Orange. 

A vous ! 

Avez-vous des personnes qui ressemblent à Flipper autour de vous ? Comment les gérez vous ?

Et d’après vous, quel est le risque qu’une personne comme Guillaume peut rencontrer façe à une personne comme Flipper ?

Et que se passerait-il si Flipper et Henning devaient travailler ensemble ?