20 Juin 2015
Arthur est slasher, c’est-à-dire qu’il pratique différents métiers simultanément : cours de guitare, aide à un ami pour monter une brasserie, et différentes prestations de développeur soft ( web ou smart) pour des entreprises initiant la dématérialisation et la mobilité. Peu importe ce qu’il fait, c’est la variété qu’il aime ; rien de pire pour lui que l’ennui de la vie routinière de bureau. VB l’a sollicité sur un CDI en temps partiel, dans le cadre du chantier portant sur l’innovation, pour aider la dématérialisation des applications commerciales, et l’utilisation des smarts pour la gestion des commandes.
Il s’entend bien avec Laura, car ils se retrouvent sur ce rôle de témoin de l’aventure VB sans se sentir pour autant vraiment « dedans ». Ils échangent dans un éternel rapport d’étonnement sur les pratiques très vieille école de la maison, et dans un même temps, ils sont admiratifs de l’effort que certains font pour changer.
Aujourd’hui, c’est à la réception qu’ils se retrouvent, dans le but de se faire une petite plancha sur la marina ; Arthur arrive avec son jean d’une coupe d’un autre temps, son vieux tee shirt de l’America’s Cup « Stars and Stripes 1988 » (à la fois vintage et si recherché), et deux trucs aux pieds ressemblant vaguement à une paire de chaussure. Quant à Laura, elle est dans une journée blanche de la tête aux pieds.
(Arthur) Waouh, c’est quoi tout ce blanc, c’est calé, cette bande de oufs ne déteint visiblement pas sur toi ?
(Laura) Tu veux dire ?
(Arthur) Je deviens dingue à la DSI, j’ai mis mes casques pour bosser, c’est vraiment trop ghetto. Le DSI est en train de se prendre savons sur savons par Anne Sophie, et je me demande bien de quoi elle se mêle, d’ailleurs.
(Laura) C’est à propos du projet sur l’innovation ?
(Arthur) Oui, j’ai l’impression qu’il va un peu trop loin à son goût ; il veut décliner le mode agile et les outils de créativité sur tous les sous projets d’innovation, certains touchent les équipes d’Anne Sophie, les filles des RH se sont pris au jeu et faque, elles demandent à Anne Sophie de gérer les réunions de service en pseudo agile, du moins ce qu’elles en ont compris. Faque, c’est le why, parce que les filles ne sont pas si polyvalentes que ça, ce qui pose un souci en agile. Et pour la créativité, lol : ya des Post it, des cartes mentales et des émoticons partout en salle de réunion RH, et Anne Sophie était avachie sur le nouveau sofa hier soir, toute seule, en regardant tout ce bordel d’un air affligé. Le plus drôle, c’est que les filles ont kiffé sur une animation des 6 chapeaux par le DSI. Tu connais les 6 chapeaux ?
(Laura) Dis moi en plus, c’est quoi cette technique ?
(Arthur) C’est une technique d’Edward De Bono, le pape de la créativité, celui qui a inventé la pensée latérale. En gros, à partir d’une problématique à résoudre, ou d’un projet à dégrossir, une réunion est organisée ou chacun peut s’exprimer mais en prenant un des 6 chapeaux, chacun représentant une couleur spécifique et un domaine spécifique : vert pour la créa, blanc pour les informations et données objectives, noir pour les risques ect… Enfin, bref, les filles ont surkiffé, et elles sont allées acheter des chapeaux, mais attention, pas n’importe quels chapeaux ! Des engins du style Rallye à Chantilly ou Geneviève de Fontenay ! Sur ce, elles ont décidé qu’Anne Sophie, en tant que facilitatrice de réunion, devait porter principalement le chapeau bleu. Mais elles ont un peu chargé, les filles ! Elles lui ont dégotté un chapeau agrémenté de perles de plumes et de dentelle, enfin bref, pas vraiment discret. Anne Sophie a dû se prêter au jeu car elles ont mené un atelier sur le développement de la polyvalence au sein de l’équipe RH, sauf qu’Anne Sophie n’a pas dû se sentir des plus à l’aise, et a déboulé dans le bureau du DSI avec son bouquet sur la tête, en lui demandant, avec ses mots parfois crus, de mettre la pédale douce sur la créativité. Nous, on était mort de rire, mais on s’est tenu, quand même ! Le DSI l’a pris de haut, et lui a rappelé l’essence même de son projet, et c’est un peu parti en cacahuètes. Et depuis, ça n’arrête pas : « tu me prends mes ressources » par ci, « la créativité c’est pas rentable » par là. C’est la guerre ouverte.
(Laura) C’est un peu humiliant quand même …
(Arthur) Attends, ça n’est pas moi qui ai décidé de lui garder son chapeau sur la tête quand elle est venue à la DSI !
(Laura) Oui, mais au-delà de ça, je crois qu’Anne Sophie a l’impression de perdre le contrôle. Elle est d’accord sur le principe du changement, mais la question de l’innovation l’effraie car elle ne sait pas ou elle va mener. L’activité de VB a toujours été orchestrée par des plans à 3 à ou 5 ans, qui donnaient un chemin, un cadre temporel. Leurs plans, ça n’était pas une vision grosse maille, c’était des plans d’action très cadrés avec rôles et responsabilités bien établis, dans lesquels chacun avait son rôle, en lien avec sa fonction, sa fiche de poste, et son expertise métier. Il existait des droits et des devoirs clairement établis.
(Arthur) Je crois qu’elle a compris le besoin de travailler de façon plus transversale, et de façon plus réactive, donc les plans, c’est bon, elle a lâché, mais l’innovation, c’est un grand saut dans le vide pour elle ; c’est comme si elle devait prendre une route dont elle ne voit pas la destination, et ça, c’est compliqué pour elle.
(Laura) Oui, c’est exactement ça : elle a déjà fait une partie du chemin sur l’abandon des plans trop enfermants et des méthodes trop carrées auxquelles il ne fait pas déroger. Elle s’est aussi convaincue de l’intérêt de faire plus participer les acteurs et d’impliquer des personnes d’horizons différents sur des sujets transversaux, pour créer de l’intelligence collective. Tout ça est vraiment louable car VB partait de loin sur ces sujets. Mais elle a encore besoin que le travail soit « productif », et elle a de la peine à rester dans la phase de « divergence » de la créa !
(Arthur) Oui, ça me rappelle une charte de bonnes pratiques de réunions de créativité, placardée dans les salles de réunion d’un grand groupe automobile très tradi, dans laquelle il était écrit que les idées devaient être pertinentes et exploitables, lol !
(Laura) Je vais essayer de m’impliquer dans un groupe de créa avec elle, et je vais lui proposer de co animer ; j’avais fait des groupes de créa chez mon ex employeur, donc je sais comment ça marche. Anne Sophie, elle, ne sait pas. On s’entend bien avec Anne Sophie, et ce sera l’occasion de parler de tout cela en le vivant.
(Arthur) Tu devrais te porter candidate sur la charte de valeurs
(Laura) Pourquoi ?
(Arthur) Il ne sent pas bon ce projet, ça va finir un peu fake. On va demander aux participants de sortir des valeurs prédéterminées et en bout de course, ça ne fera qu’alimenter le canal historique : respect, loyauté, bla bla bla . Ou alors, ils mettront « transversalité » et « autonomie », voire « entreprendre », pour donner un cap différent, mais est ce que ces valeurs seront démontrées par le top management ? Est ce que tu penses vraiment que les frères et sœurs sont prêts à laisser cette autonomie et ces prises d’initiatives ?
(Laura) Tu voudrais quoi alors ?
(Arthur) Que chacun soit acteur jusqu’au bout ! Que chacun s’écoute et soit écouté ! Que ce soit vraiment les salariés qui co-décident de façon consensuelle quelles valeurs sont finalement retenues. Et puis aussi, que ces valeurs soient utilisées au quotidien pour arbitrer, évaluer, décider, agir, en premier chef par la direction pour qu’elle montre l’exemple. En bref, que ce soit un vrai cadre pour guider l’action de tous.
(Laura) Et tu ne penses pas que cela va se passer comme ça ?
(Arthur) Non ; je pense que ça va être un bel exercice de style, un soi-disant « marker » pour le changement à impulser, mais que tout ça va retomber comme un soufflé.
(Laura) Dis donc, tu es un vrai révolutionnaire, là !
(Arthur) Qu’est ce que tu veux dire ?
(Laura) Eh bien je crois que les choses se font petit à petit ? Déjà, produire une charte de valeurs avec certaines très nouvelles comme « transversalité » ou « autonomie », c’est une sacrée marche pour eux tu sais ?
(Arthur) En tous cas, si ça continue, je ne vais pas attendre que la maison se réveille pour changer de crèmerie.
L’éclairage de la spirale dynamique
Le DSI transpire le ER Orange dans la dimension progrès = innovation ; il est centré sur son objectif d’atteindre des livrables sur l’innovation, et déploie des méthodes (agile, techniques de créativité) qu’il considère à juste titre comme efficaces pour faire avancer VB d’une façon plus rapide et innovante. Il se préoccupe du ressenti des gens sur ces nouvelles pratiques, mais uniquement dans le but de les faire adhérer à son approche. Du coup, quand Anne Sophie lui exprime son courroux, son écoute est flottante et partielle, et débouche sur une opposition de valeurs.
En parallèle, Anne Sophie, de « dominante » DQ bleu, et qui tente de développer son « culminant » ER Orange, en impliquant les personnes pour au moins leur donner l’impression qu’elles participent aux nouvelles orientations, ne peut pas aller aussi vite vers ER Orange que le DSI le voudrait : l’innovation tous azimuths, c’est trop pour elle.
Arthur, quant à lui, est une caricature de Millenial, très teinté de certaines valeurs FS Vert, comme la recherche de sens et de fortes convictions sur l’efficacité de l’intelligence collective et du consensus. Il est d’ailleurs possible, même si cela n’est pas explicitement développé dans l’épisode, que sur cette question du référentiel de valeurs, ses points de vue divergent avec ceux du DSI : la ou le DSI voit ces nouvelles valeurs comme un moyen d’être plus performant, Arthur voit plus cela comme une fin en soi. L’un voit l’objectif, l’autre voit le chemin.
Quant au comportement de Laura, il nous amène à parler des cycles de la Spirale Dynamique. Les systèmes de valeurs émergent dans un premier temps par rejet du système précédant : Beige, Violet, Rouge, Bleu, Orange, puis Vert. Puis arrive le GT Jaune, qui marque l’entrée dans le second cycle. Dans ce second cycle, les nouveaux systèmes de valeurs émergent plutôt par intégration des précédents systèmes : l’idée est de prendre ce qu’il y a d’utile et de fonctionnel dans les systèmes déjà vécus. Ce n’est pas exactement de l’empathie ou de la bienveillance sur ces systèmes, c’est un regard « intéressé » pour prendre ce qu’il y a d’efficace et adapté dans chacun des systèmes, au vu de la situation du moment.
Le DSI, très ER Orange, rejette l’ancien système VB, très DQ Bleu, et l’on peut imaginer qu’il est très critique sur l’incapacité de l’organisation à être innovante et performante. Arthur rejette tout autant l’ancienne culture VB, et encore plus le système ER Orange, illustré par l’approche soi-disant collective du référentiel de valeur, qui cache, à ses yeux, une forme de « consultation-bidon ». Laura, par contre, qui est en « dominant » GT Jaune, et donc, dans le second cycle, n’est plus dans une dynamique de rejet, mais dans une recherche de ce qu’elle peut faire dans la situation. Elle se propose d’apporter sa compétence à Anne Sophie. Elle regarde la situation de VB avec plus de distance et d’intention de compréhension. Dans un même temps, elle est très « cash » sur l’incompétence d’Anne Sophie pour mener des groupes de créativité. Une forme d’intolérance face à l’incompétence est aussi un marker du système GT Jaune, qui vise à l’action utile et efficace, mais dans le respect des intérêts personnels de chacun.
A vous !
Si vous deviez VRAIMENT choisir, est-ce que vous vous reconnaissez plus dans l’attitude d’Arthur, ancré dans ses convictions de besoin de sens, de sincérité, d’importance du collectif, ou peut-être d’autres causes très FS Vert, mais non traitées dans ce chapitre comme la question environnementale ? Ou l’attitude de Laura, qui se contente de décrire avec lucidité ce qu’elle voit, de questionner pour chercher à comprendre encore mieux, et qui parle de ce qu’elle va faire pour se rendre utile ?
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