24 Mai 2015

Hubert, le Directeur technique, seul membre non familial du CODIR, et fidèle parmi les fidèles, est très embarrassé ce matin. Sa nouvelle Directrice Qualité & Amélioration Continue, Rachel, recrutée en Avril, semble en difficulté. Edouard a clairement indiqué à Hubert qu’il devait plus impliquer David lorsque le moindre couac se signalerait lors de son intégration. Ne souhaitant pas se mettre en porte à faux, il suit les instructions, et rencontre David ce matin.

(Hubert), David, il faut que vous alliez voir la pauvre petite Rachel, elle ne va pas bien. Elle qui était si enjouée lors de sa prise de poste ! Cela me désole de la voir se liquéfier au bout d’un mois et demie.

(David) Je t’ai déjà dit que tu peux me tutoyer Hubert, mais je vais volontiers aller voir Rachel si tu penses que cela est utile, peux-tu m’en dire un peu plus sur la situation ?

(Hubert) Il semble qu’elle ait de la peine à passer auprès de nos équipes logistique.  

(David) C’est-à-dire ?

(Hubert) Rachel a monté un groupe de travail pour voir comment optimiser la gestion des stocks, en particulier pour accélérer les entrées en magasin portant sur des back-orders (commandes fermes non encore approvisionnées mais à livrer). Le sujet n’est pas simple, surtout avec la prise en compte des nouveaux standards de délais de livraison que l’on cible sur les comptes clé. Or, elle ne parvient pas à leur faire produire quelque idée que ce soit.

(David) Ah oui, c’est bien curieux ça. Qu’est-ce que tu en penses ?

(Hubert) Il y a beaucoup de choses qui rendent cela difficile.  Ils n’ont jamais été encadrés par une femme, encore moins une femme de 20 ans de moins.  Et puis ils ont des modes opératoires  bien complets et établis,   qu’ils suivent depuis la nuit des temps, et c’est compliqué pour eux de remettre tout ça en cause.

(David) Qui a conçu ces modes opératoires à l’époque ?

(Hubert) Moi… mais c’est vrai que certaines méritent d’être dépoussiérés.

(David) Et toi, que penses-tu de son intervention ?

(Hubert) C’est une bonne chose de revoir les procédures de gestion des flux, ne serait- ce que pour intégrer la problématique des comptes clés, mais ça ne sert à rien pour autant de réinventer le fil à couper le beurre. Après, je n’ai pas l’habitude de laisser mes subalternes se noyer quand ils sont passés à l’eau, je lui ai donc proposé d’intervenir lors de la prochaine réunion d’équipe, pour exprimer mon soutien à la démarche. Mais elle veut s’en sortir toute seule.

(David) Qu’est-ce que tu attends de moi ?

(Hubert) Bonne question … tiens je me dis que c’est peut-être une question que j’aurai dû lui poser d’ailleurs. Ce que j’attends de vous, David, c’est que vous l’écoutiez, ce que je n’ai peut-être pas bien su faire, et que vous l’aidiez à trouver une marche à suivre pour éviter tout conflit. Car vous conviendrez que cela serait mal venu après seulement un mois et demie dans l’entreprise.

(David) C’est entendu Hubert.

Rachel, perdue devant un tableau Excel lui renvoyant son impuissance face à la situation, accueille David avec plaisir et soulagement.

(David) Bonjour Rachel, comment vas-tu ?

(Rachel) Pas vraiment bien, David, pas vraiment bien…. et toi ?

(David) Disons que je suis un peu inquiet pour toi. J’ai croisé Hubert qui m’a invité à venir te voir …

(Rachel) Pff, je suis triste David, car j’ai l’impression que je suis dans l’impasse. J’ai organisé un groupe de travail pour améliorer le process sur la gestion des flux, et je ne parviens pas à les faire accoucher d’actions correctives. C’est inquiétant pour moi, car j’ai un double enjeu sur ce sujet : trouver des solutions à la nouvelle problématique causée par les comptes clé, mais aussi utiliser cette action comme prétexte pour leur faire vivre une première expérience réussie de résolution de problème, en collectif et en inter métier.

 (David) Je comprends ce double enjeu, et c’est ingénieux de leur faire vivre le changement avant de leur en parler, cela te permettra de démystifier. Mais comment as-tu procédé, et que s’est-il passé exactement ?

(Rachel) J’ai fait appel au volontariat et j’ai été ravie de voir que j’avais de nombreux volontaires, aussi bien de la logistique, des systèmes d’information, du contrôle de gestion, des achats, et de l’adv. J’étais donc plutôt optimiste. Nous sommes partis sur l’idée d’un workshop en 3 sessions pour aboutir à des livrables concrets et déployable dès l’été. Je me suis proposé de faciliter la première session de l’atelier et j’avais l’idée de laisser le groupe animer sans moi dès la deuxième session. Nous avons commencé par un tour de table pour que chacun exprime son ressenti par rapport à la démarche, et la raison pour laquelle il s’est porté volontaire. Là, déjà, j’ai senti du flottement. Sur le ressenti, j’ai eu droit à des « ça va », ou « ras », ou « c’est intrusif votre démarche ». Et sur le « pourquoi » de la présence, j’ai pu entendre « mon chef m’a demandé de venir », « je suis venu par curiosité mais l’amélioration continue, on la pratique chaque jour » . J’ai même eu droit à un « quand est ce qu’on mange ? ». J’ai ensuite mené mon introduction, pour cibler l’objectif de l’atelier, et c’est là que les choses ont dérapé ; j’ai d’abord contemplé une guerre de tranchée entre Kevin, de la logistique, et Karim, des achats, le premier reprochant au second d’être incapable de sortir des niveaux adéquats de réappros. Du coup, Karim s’est retourné vers Christelle du contrôle de gestion, en lui reprochant d’avoir des bugs dans ses tableaux de niveaux de réassort. Et c’est là que Christelle s’est réveillée pour passer une rouste à Robin, notre geek de l’IT, qui à ce moment là était en train de s’endormir devant son ordi dont il ne peut pas se séparer et qui n’a rien compris au film. Je te jure que j’avais l’impression d’être dans une cour de récré. Mais bon, j’ai plutôt pris ça comme une opportunité de mettre du sens à l’atelier, puisque ces échanges houleux illustraient parfaitement que les solutions ne peuvent être trouvées qu’ensemble.

(David) Et alors ? Ensuite ?

(Rachel) Mon intervention a porté ses fruits et la suite immédiate a été plutôt productive : à partir de 2 problèmes récents illustrant la thématique, nous avons travaillé en mixant les analyses 5M et 5P, et nous sommes arrivés à des causes racines et des options de résolution.

(David) Eh bien c’est formidable !

(Rachel) Oui, enfin, je te passe les détails des joutes verbales , mais après moultes régulations, nous sommes arrivés à des conclusions… sauf que presque toutes les causes racines portaient sur des notes de procédure inutiles ou à revoir.

(David) Mais c’est très bien ça !

(Rachel) Sauf qu’ils ne veulent pas supprimer les notes de procédures ! Alors qu’elles sont partout et brident toute initiative ! Il y a des tableaux dans tous les sens, des informations de contrôle inutiles à saisir à droite à gauche, des indicateurs caduques, des documents de conversion de devises ou de métrés qui n’ont plus lieu d’être, sincèrement David, quand je pense à tous ces arbres détruits pour ….

(David) Attends, je ne comprends pas, en gros tu leur ouvres la porte de la prison, et ils ne veulent pas sortir ? 

(Rachel) Exactement, bonne métaphore.  C’est comme si …

(David) Oui ?

(Rachel) J’ai l’impression que ça n’est pas évident pour eux de remettre en cause leurs fonctionnements séculaires. Et peut-être ont-ils peur de se mettre Hubert à dos, car ça a été lui, l’instigateur de cette paperasserie…  

(David) Que vas-tu faire, alors ?

(Rachel) Je tiens absolument à ce que l’on trouve un consensus sur les mesures à prendre. Je n’ai pas monté cet atelier pour me retrouver dans la situation de devoir décider pour eux. Si les décisions ne sont pas largement partagées, nous n’aboutirons à rien de bon. Je pense donc organiser un deuxième groupe de travail pour donner une chance à d’autres conclusions, en ciblant cette fois ci la réduction du nombre de procédures.  Il va falloir réfléchir à la façon dont je l’annonce, car il me faudra des volontaires. En tous cas, je fais confiance à l’intelligence collective pour faire émerger les meilleures solutions. Mais je ne suis sûr de rien, en fait. Peut-être devrions nous traiter la question lors du prochain CODIR, cela me serait utile d’avoir les ressentis de mes collègues …

(David) Je suis là pour ça , Rachel, aider tous les porteurs de projet à réfléchir sans que cela ne passe systématiquement par un collectif. Je crains que la consultation tous azimuts créé des pesanteurs. Mais si nous revenons à notre histoire, quel est l’enjeu pour toi ?

(Rachel) L’enjeu, c’est de réussir à les faire travailler ensemble, et de mettre déjà un pied dans notre responsabilité environnementale sur cette question du « zéro papier » .  

(David) Rachel, je sais que tu veux les faire co-produire ensemble, et penser à notre RSE (responsabilité sociale et environnementale) c’est bien, mais j’ai l’impression que tu grilles des étapes. Pars plutôt de là ou ils sont, aujourd’hui : qu’est ce qui leur manque, d’après toi, pour simplifier les process ?

(Rachel) Comme je te l’ai dit, casser les habitudes, peut-être ne plus avoir le sentiment qu’ils dédisent Hubert si on remet tout à plat, ou peut être me faire confiance ?

(David) Et que faudrait-il pour qu’ils n’aient pas l’impression de le dédire et qu’ils te fassent plus confiance ?

(Rachel) Qu’ils aient l’autorisation de la part d’Hubert ?

(David) Exactement, Rachel. N’oublies pas que tu es dans un collectif de culture très hiérarchique. Et quand tu consultes les équipes, si tu induis que l’oeuvre d’Hubert est à remettre en cause, ça les pique. 

(Rachel) Mais je n’induis rien ! Ce sont eux qui sont arrivés à la conclusion que l’excès de paperasses est la cause de la lenteur des process !

(David) Peut être, de ton point de vue, mais en réalité, ils ne raisonnent pas comme ça, car ils sont sous l’emprise de leur autorité tutélaire, en l’occurrence Hubert. C’est ce qu’on appelle l’effet tournesol. Et puis quelque part, ils se disent aussi : à quoi Rachel veut nous amener ?

(Rachel) L’effet tournesol ?

(David) C’est une métaphore : la fleur de tournesol se tourne toujours vers le soleil. Du coup, l’effet tournesol, c’est que les gens, quand ils sont sollicités pour émettre un avis sur une situation, expriment non pas ce qu’il y a de juste à faire pour le collectif, mais ce qu’ils pensent que le patron a envie d’entendre.  

(Rachel) Mais c’est terrible, ça ! Ce sont de vrais gamins ! Après, je comprends qu’ils ont une forme de « symbiose » et qu’ils ne veulent pas sortir du rang, c’est leur identité collective qui est en jeu.

(David) Oui, il y a un côté parent/enfant dans cette relation, mais c’est l’histoire de VB qui a créé ça, c’est là ou ils en sont en ce moment ; c’est très éloigné de ce que tu voyais dans ta précédente organisation, ou plus de place était laissée à l’autonomie, mais c’est ainsi et tu dois respecter ça.

(Rachel) Certes. Donc, tu me proposes de faire intervenir Hubert en deuxième session pour ce groupe constitué ? Je ne suis pas confortable avec ça, ma légitimité est en jeu. Mais ton analyse me parle …  

(David) Si tu acceptes mon analyse, comment pourrais-tu faire pour faire intervenir Hubert sans que ta légitimité soit en cause ?

(Rachel) Il faudrait que je fasse intervenir Hubert de façon très courte sur le message global, puis que je reprenne la main.

(David) Comment pourrais-tu reprendre la main ?

(Rachel) Mmmh … laisse-moi réfléchir … je pense que je dois d’abord revenir sur ma vision du fonctionnement cible, c’est-à-dire plus de transversalité, plus de subsidiarité ; et puis ensuite, je vais remettre en perspective les objectifs de façon plus précise… les objectifs attendus sur les délais de livraison des comptes clé ou sur les temps de réception des rouleaux de tissus, par exemple.

(David) Comment tu te sens par rapport à cette tactique ?

(Rachel) Bien, oui vraiment bien ! Mais j’ai juste une crainte à propos de l’intro d’Hubert, c’est qu’il n’ait pas un discours assez offensif et convaincant sur le droit de remettre en cause l’existant, sur le droit à l’erreur aussi …

(David) Et si nous faisons une réunion à trois pour que je t’aide à préparer cette intervention avec lui, est-ce que ça te conviendrait ?

(Rachel) Ce serait top, David ! Car tu as la finesse nécessaire pour le confronter sur son rôle de meneur sur ces changements

L’éclairage de la spirale dynamique

Rachel est très ancrée dans le système FS Vert, plus « avancé » dans la Spirale Dynamique que le système de valeur DQ Bleu, dominant chez VB.

Son appartenance au système FS Vert transpire quand elle valorise l’intelligence collective et quand elle se préoccupe de l’environnement (même si ce dernier sujet est peu développé du fait de David, qui centre son questionnement sur d’autres questions).

Cependant, ces 2 systèmes de valeurs partagent la dimension collective ; dans ces 2 systèmes de valeur, on est dans le sacrifice de soi. Elle comprend donc le phénomène de symbiose, elle est mieux à même d’accepter la résistance collective. Cela serait moins facile si elle partageait le ER Orange d’un Guillaume, par exemple.

Pour David, même s’il est probable qu’il soit « dominant » ER Orange , son métier l’a amené à développer des sensibilités FS Vert et GT Jaune, qu’il a donc comme systèmes « culminant », et non « dominant ». Voici quelques exemples illustrant ce « ER Orange » dominant,

  • Il apprécie l’intelligence collective (FS Vert), mais jusqu’à un certain point
  • Il s’intéresse plus à la performance (ER Orange) qu’au sens collectif (FS Vert/GT Jaune) , même s’il accompagne les équipes sur la construction de vision
  • Il questionne sur les émotions (FS Vert) parce qu’il sait que c’est une façon « performante » de coacher (ER Orange), mais ce n’est pas une fin en soi

Dans son accompagnement, David aurait pu éclairer un peu plus Rachel sur un réajustement à mener dans le management de son groupe de travail. En effet, Rachel demande à des personnes collectivement en DQ Bleu, de faire du FS Vert. Le bond est trop important car l’étape intermédiaire, qui est, rappelons-nous, la destination ultime du changement à mener chez VB, est ER Orange. Concrètement, cela signifie que Rachel devrait à son niveau, travailler sur la méritocratie ER Orange, en proposant par exemple aux membres du groupe des récompenses individuelles, ou en interfaçant avec la RH, pour mettre en orbite certains participants sur des évolutions de responsabilités en cas de succès du groupe de travail.  Elle pourrait également, cadrer ce projet en fixant des objectifs spécifiques et mesurables, de façon à « objectiver » les critères d’évaluation. On peut imaginer que certains individus sont déjà, à titre personnel, dans un système de valeur ER Orange, demandeurs de plus de rationalité dans la fixation des objectifs et les règles de méritocratie.  

 

A vous ! 

Comment procédez-vous pour « mettre en mouvement » les personnes dans un système DQ Bleu, qui attendent la bonne parole du chef avant d’agir ?

Quelles sont vos clés de réussite pour initier de l’intelligence collective dans des organisations n’étant pas encore dans un système de valeur FS vert ?